Axiochos, un dialogue socratique pour nous consoler de notre mort prochaine

L’Axiochos (en grec ancien Ἀξίοχος / Axíochos) est un dialogue du pseudo-Platon sur la mort. Le dialogue date du 1er siècle avant notre ère.

L’Axiochos est l’un des courts dialogues socratiques apocryphes, que les manuscrits joignent aux œuvres de Platon.

Ce dialogue relève de la consolation, genre littéraire consistant ou bien en lettre à l’occasion d’un deuil, ou bien d’un traité morale pratique autour du thème de la mort, ce qui est le cas ici.

Voici le contexte :

« Tout en larmes, Clinias me dit : « Socrate, voilà bien l’occasion de montrer ta sagesse si vantée : mon père vient d’être frappé subitement d’une faiblesse et il touche à sa fin. Or, il voit venir avec beaucoup de tristesse le dénouement, lui qui auparavant raillait ceux qui s’effrayaient de la mort et les tournait doucement en ridicule. Viens donc et console-le à ta manière, afin qu’il parte sans gémir vers son destin et que je puisse ainsi lui rendre ce dernier devoir de piété filiale ».

Platon, Axiochos, 364 a

Un homme politique athénien, Axiochos, est sur le point de mourir et il est terrifié par la mort, alors que toute sa vie il se moquait de ceux qui avaient peur de la mort.

Socrate répondit : « tu m’appelles à un devoir sacré. »

Pour Socrate, c’est un « devoir sacré » que de ramener un concitoyen à la sagesse, en le « consolant ». Mais nous allons vois que la façon de consoler des philosophes antiques est fort différente de la façon de consoler des Modernes.

Clinias : « Ta seule vue, Socrate, lui rendra des forces. »

Axiochos était robuste de corps mais d’âme faible. Il avait grand besoin de réconfort, se soulevait fréquemment et poussait des gémissements en versant des larmes et en frappant des mains.

Socrate lui dit : « Axiochos, qu’est-ce là ? Où sont ton ancienne fierté et ces perpétuels éloges de la vertu et ce courage inébranlable que tu montrais ? Ainsi qu’un lâche athlète, tu parais brave dans les exercices du gymnase et fais triste figure dans les combats. Ne veux-tu pas considérer attentivement cette loi de nature, en homme de ton âge, qui a reçu de bonnes leçons, et, s’il n’y avait pas d’autre motif, en Athénien : suivant le dicton bien connu, partout répété, la vie est un court exil, il faut la passer convenablement, puis suivre le destin, au moins résolument, sinon en chantant le péan [le dieu]. Mais se montrer si faible, se faire arracher de force, c’est digne d’un enfant, non d’un homme raisonnable. »

Platon, Axiochos, 365 a-b

Ce à quoi Axiochos répondit : « C’est vrai, Socrate, et ce que tu dis me paraît juste. Mais je ne sais comment, arrivé à cet instant fatal, je sens s’évanouir, presque à mon insu, ces fortes et sublimes leçons, et je n’en fais plus d’estime ; une sorte de crainte les supplante, me déchirant l’esprit de mille manières, crainte d’être privé de cette lumière et de ces biens, de pourrir quelque part, invisible et ignoré, la proie des vers et des insectes.

365 c

Socrate : Aucun mal ne t’atteindra après ta mort.

« Chasse dont toutes ces sottises … » + argument en faveur de l’immortalité de l’âme : « Songe que, une fois le composé détruit, et l’âme une fois établie dans son propre séjour, ce corps qui reste, ce corps de terre et sans raison, n’est plus l’homme. Car nous sommes une âme, animal immortel enfermé dans une prison mortelle ; et cette enveloppe corporelle, la nature, pour notre mal, nous l’a ajustée : à elle les plaisirs superficiels, fugitifs et mêlés de mille peines ; à elle aussi les douleurs profondes, les douleurs … (très long texte invitant à mépriser la vie du corps pour y préférer la vie de l’âme)

+ invitation à mépriser, plus précisément, la vie humaine et à chérir la mort : « Aussi les dieux qui savent les choses humaines, se hâtent de délivrer de la vie ceux qu’ils chérissent. »

367 b-c

« Agamède et Trophonios qui avaient construit le temple d’Apollon Pythien, prièrent le dieu de leur donner ce qu’il y avait de mieux pour eux : ils s’endormirent et ne se réveillèrent plus. »

« Il serait trop long de citer tous les poètes qui de leurs voix divines et inspirées chantent les misères de la vie. » : exemple :

« Non, certes, il n’est point d’être plus à plaindre que l’homme ¨Parmi ceux qui respirent et rampent sur la terre. » Iliade, XVII, 446-447

Et Amphiaraos :

«Zeus qui tient l’égide l’aimait de tout son coeur et Apollon de toute sa tendresse. Aussi n’a-t-il pas atteint le seuil de la vieillesse. » Odyssée, XV, 245-246

Et Euripide nous demande « de plaindre le nouveau-né qui vient pour tant de maux. »

dans Cresphonte

368 a

Long texte invitant au mépris de toute chose dans la vie

Jusqu’à en venir au sujet de la politique, ce à quoi Axiochos répondit, allant dans le sens du style rhétorique de Socrate :

« Le peuple, mon cher Socrate, est un être ingrat, vite dégoûté, cruel, envieux, sans éducation, un vrai ramassis de gens venus de tous côtés, violents et bavards. Mais qui se fait son compagnon est bien plus misérable encore. »

Platon, Axiochos, 369 a-b

Socrate renchérit pour le dégoûter de la vie : « Si donc, Axiochos, tu poses que la plus libérale des sciences est la plus détestable, que penserons-nous des autres genres de vie ? Ne faut-il pas les fuir ?

Ensuite, ce qui rend le texte douteux, Socrate émet un argument épicurien, semble-t-il :

La mort ne serait rien « pour les vivants » et les morts « ne seraient plus » de toute façon donc ils ne peuvent plus rien subir, n’étant plus. Ainsi la mort ne touche pas les vivants puisque lorsqu’ils sont vivants, ils ne sont pas morts, c’est donc une douleur vaine que de se lamenter pour ce qui n’existe pas et n’existera pas pour la personne concernée, et c’est une douleur aussi vaine que de craindre l’au-delà et ses mythes qui ne sont que chimères, illusions.

Ce à quoi Axiochos, offusqué, répond : « Pour moi, c’est la privation des biens de la vie qui m’afflige, quand même tu me bercerais de discours plus persuasifs que ceux-ci, Socrate. L’esprit n’entend pas, il n’est pas détourné par le charme de tes paroles ; ces réflexions n’effleurent même pas la surface de la peau. Elles favorisent peut-être la pompe et l’éclat de style, mais elles n’ont pas pour elles la vérité. Les souffrances ne supportent pas les sophismes ; seul, ce qui peut atteindre l’âme les soulage. »

369 c-d-e

Ici on peut voir le pouvoir supposé de la raison pour guérir de l’ignorance, cause de la souffrance.

Socrate : « tu introduis et lies sans réflexion à la privation des biens le sentiment des maux, sans songer que tu es mort. Oui, on s’afflige des biens que l’on perd, quand, en échange, on doit subir des maux, mais quand on n’existe plus, on ne perçoit même pas cette privation. Comment donc pourrait-on s’attrister de ce qui ne rendra pas conscientes les afflictions futures ? (…) « par ignorance » (…) tu crains d’être privé d’âme et tu attribues une âme à cette privation ; tu trembles de ne plus sentir et tu imagines une sensibilité pour percevoir cette absence de sensibilité. »

370a

Socrate : « Ce n’est pas à la mort, mais à l’immortalité que tu vas, Axiochos ; les biens ne te seront pas enlevés, mais tu en jouiras plus purement ; tu n’auras pas ces plaisirs mêlés au corps mortel, mais les plaisirs sans mélange de douleur. Tu t’en iras là-bas, dégagé de cette prison, là où il n’y a plus de labeurs, plus de gémissements, plus de vieillesse, où l’on mène une vie calme et à l’abri des maux ; tu jouiras d’une paix tranquille, tu contempleras la nature et philosopheras, non pour la foule et pour te donner en spectacle, mais pour la pleine et entière vérité. »

A cela, Axiochos répond, tout convaincu cette fois : « Ton discours a transformé mes idées. Je ne crains plus la mort, je la désire plutôt, – pour imiter un peu, moi aussi, l’emphase des rhéteurs. Il me semble que déjà je parcours les sphères et entreprends la course éternelle et divine ; dépouillé de ma faiblesse, je me suis repris moi-même et me voilà devenu un homme nouveau. »

Platon, Axiochos, 370d-e

Socrate raconte ensuite un mythe, jusqu’à 371 b. Puis il raconte ce qui se passe après la mort, dans l’au-delà :

« Là siègent les juges qui interrogent chacun des arrivants sur la vie qu’ils ont vécue et sur le genre d’existence qu’ils menaient, quand ils habitaient un corps. Et de mentir, il n’est aucune possibilité. Ceux qui ont écouté durant leur vie les inspirations d’un bon démon vont résider au séjour des hommes pieux, là où des climats féconds font germer les fruits en abondance, où coulent des sources d’eau pure, où mille prairies émaillées de fleurs variées revêtent l’aspect du printemps, où il y a des conversations pour les philosophes, des théâtres pour les poètes, des choeurs de danse et des concerts, des banquets bien ordonnés, des festins offerts spontanément comme des contributions de chorèges, l’absence totale de peines et une vie pleine de charmes. Pas d’hiver ou d’été excessifs, mais un air pur que tempèrent les doux rayons du soleil. Les initiés y ont une place d’honneur, et là aussi, ils accomplissent les rites sacrés. »

Platon, Axiochos, 371 c-d

[note : M .CHEVALIER fait remarquer que, dans cette description, tous les traits nous sont connus par les poètes, les inscriptions, les écrivains d’inspiration mystique, et il reproduit un texte de Plutarque (de Anima, cité par Stobée, Flor.120, 28) où presque tous ces détails sont rassemblés. Plutarque compare l’initiation à la mort et montre que, dans les deux cas, l’âme passe par les mêmes épreuves pour arriver au même bonheur (Chevalier, op. Cit., p.91).

+ description des Enfers pour ceux qui auront mené « une vie de crimes ».

Conclusion : « Ainsi (…) tu seras nécessairement heureux, Axiochos, toi qui as vécu pieusement. »

Axiochos répond, pour conclure : « Je n’ose te le dire, Socrate, mais bien loin de redouter la mort, voilà que maintenant j’en ai l’ardent désir. Ce dernier discours, comme le précédent sur le ciel, m’a persuadé, et je méprise désormais la vie, puisque je dois partir pour un séjour meilleur. A présent, je vais repasser doucement en moi-même tout ce qui a été dit. Reviens à partir de midi, Socrate. »

FIN

On voit que Axiochos, homme politique athénien, a été convaincu par la rhétorique de Socrate, qui a réussi à le persuader, non seulement de na pas craindre la mort, mais en plus, de la désirer.

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