Le songe de Scipion de Cicéron, secourir sa patrie pour atteindre l’au-delà

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres

Introduction

Il s’agit d’un des plus beaux dialogues de Cicéron, issu de La République. Il s’agit d’un récit de rêve qui a lieu dans les jardins de Scipion. Il met en scène des personnalités du monde politique. Cela se passe aux alentours de -129.

Le rapprochement s’impose entre Le Songe de Scipion et le mythe d’Er de Platon. Cicéron a l’intention claire de prendre pour modèle la République de Platon.

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Le Songe de Scipion

1.Ce qui plaît le plus au dieu et qui mérite un bel au-delà, c’est de porter secours à sa patrie.

« Pour que tu sois, Africain, encore plus ardent à soutenir la république, dis-toi bien que, à l’intention de tous ceux qui auront sauvé leur patrie, lui auront porté secours, l’auront agrandie, il existe au ciel un lieu bien défini, où ils jouiront d’une félicité éternelle. En effet, rien sur la Terre ne plaît davantage au dieu suprême qui régit l’Univers que ces sociétés d’hommes assemblés sous des lois que l’on nomme des cités. Ceux qui les dirigent et les conservent viennent d’ici, et c’est ici qu’ils retournent. »

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres, p.80-81

Immortalité de l’âme + Défense de se suicider, arguments de Cicéron :

« Ils sont vivants, ceux qui, d’un coup d’aile, se sont libérés des liens du corps, comme on s’échappe d’une prison. Au contraire, c’est ce qu’on appelle ordinairement la vie, la vôtre, qui est la mort. »

« Si c’est cela la vie (…), pourquoi devrais-je m’attarder sur la Terre ? Pourquoi ne pas partir et vous rejoindre au plus vite ? »

« A moins que ce dieu, dont l’univers qui s’offre ici à tes yeux est le temple, ne t’ait délivré de ces liens du corps qui t’emprisonnent, l’accès à ces lieux ne t’est point donné. Les hommes, en effet, sont nés sous cette loi qui veut qu’ils aient la garde de ce globe que tu aperçois au centre de ce temple et qu’on appelle la Terre. Ils ont reçu une âme, tirée de ces feux éternels que vous appelez les constellations et les étoiles. Tels des sphères bien arrondies, animées par des intelligences divines, ils accomplissent leurs courses circulaires avec une rapidité incroyable. Pour cette raison, c’est ton devoir à toi, Publius, comme à tous ceux qui sont pieux, de maintenir votre âme dans les liens du corps. Nul ne peut quitter la vie humaine, sans en avoir reçu l’ordre de la part de celui dont il l’a reçue, ou alors il paraîtra se dérober à la mission assignée aux hommes par le dieu. »

« Cultive la justice et la piété ! Et cette piété est d’autant plus grande à l’égard de la patrie qu’elle est grande à l’égard des parents et des proches : voilà la vie qui montre le chemin du ciel et de cette société formée par ceux qui ont accompli leur vie, et qui, libérés de leur corps, habitent ce séjour que tu as sous les yeux. » Ce séjour, c’était ce cercle, splendide, entre tous feux célestes, par son exceptionnelle blancheur, ce cercle que vous appelez Voie lactée, en empruntant cette expression aux Grecs. »

Le regard d’en haut :

« Vues depuis ces hauteurs, toutes choses me semblaient éclatantes et admirables. On remarquait ces étoiles que nous ne voyons jamais d’ici-bas et dont la grandeur va au-delà de tout ce que nous avions jamais imaginé ; il y avait aussi le plus petit de tous les astres, le plus éloigné du ciel et le plus proche de la Terre, brillant d’une lumière empruntée. La taille de ces astres dépassait largement celle du globe terrestre, et la Terre elle-même me parût si petite que je rougis de notre empire qui en occupe à peine un point. »

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres, p.81-82

« Maintenant, tes regards se tournent vers le séjour et la demeure des hommes. S’ils te paraissent aussi petits qu’ils sont en effet, ne cesse pas de contempler nos cieux et méprise les choses humaines. Quelle renommée, quelle gloire peux-tu attendre, toi, du commerce des hommes ? (…) ne comptez pas obtenir la moindre gloire de la part de ces gens-là ! »

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres, p.86

Mépris de la gloire :

« Et ceux-là même qui parlent de vous, c’est pour combien de temps ? (…) Même si, dans l’avenir, nos descendants voulaient transmettre aux générations futures la mémoire élogieuse de chacun d’entre nous, comme ils l’ont reçue de nos ancêtres, même dans cette hypothèse, compte tenu des déluges et des incendies qui s’étendent nécessairement sur la Terre à certaines époques, nul ne peut espérer faire durer sa gloire, je ne dis pas éternellement, mais ne serait-ce qu’un certain temps. Et si les hommes à venir parlent de toi, quand ceux qui t’ont précédé t’auront ignoré, qu’as-tu à en faire ? Ils ne sont pas moins nombreux, et ils étaient sûrement bien meilleurs ! »

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres, p.88

« Que vaut, au bout du compte, cette gloire que poursuivent les hommes et qui ne dure même pas une infime partie d’années ? Si donc tu veux élever tes regards et n’avoir en vue que ce séjour et cette demeure éternelle, tu ne t’abandonneras pas aux discours de la foule et tu ne mettras pas tes espoirs dans les récompenses humaines : c’est la vertu elle-même, avec ses propres charmes, qui doit te conduire à la véritable gloire. »

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres, p.89

Appel au courage + L’homme est en réalité une âme, donc un dieu

« Courage ! Me répondit-il, et dis-toi bien que ce n’est pas toi qui est mortel, mais ce corps. Tu n’es pas, en effet, ce que cette forme fait voir ; car ce que chacun est, c’est son âme, et non cette silhouette, que l’on peut montrer du doigt. Sache donc que tu es un dieu, s’il est vrai qu’est un dieu celui qui donne la vie, qui éprouve les sensations, qui se souvient, qui prévoit, qui gouverne, qui organise aussi et qui met en mouvement ce corps auquel il est attaché, comme le dieu suprême le fait à l’égard de ce monde. Et de même que le dieu éternel meut un monde en partie périssable, de même l’âme immortelle meut un corps périssable. »

Cicéron, Le Songe de Scipion, Les Belles Lettres, p.90

+ Arguments en faveur de l’immortalité de l’âme.

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