La Mort dans le Taoïsme (Philosophie chinoise)

3)La mort dans le taoïsme

Nous sommes des êtres mortels. Nous allons tous mourir. La philosophie antique part de ce constat pour nous proposer des remèdes contre la crainte de la mort et le nihilisme (une vié dénuée de sens). Le stoïcisme et l’épicurisme sont des philosophies comme manières de vivre selon Pierre Hadot, et elles nous proposent des réponses pour mieux vivre et apprendre à mourir. Mais qu’en est-il en extrême-Orient ? Que propose la philosophie chinoise ? Nous allons voir ce qu’en dit le taoïsme.

« Dans la mort, nous sommes tous une masse de chair putréfiée, nous pourrissons et sommes éteints. En cela, nous sommes tous semblables. (…) Que ce soit dans dix ans ou cent ans, nous mourrons tous. Le saint et sage meurt, le mauvais et idiot meurt. (…) En ce qui concerne les nobles, tout ce qui reste, ce sont leurs cadavres putréfiés. Les os desséchés sont tous les mêmes : qui peut distinguer l’un de l’autre ? Aussi, vous devez chercher à jouir de la vie tant qu’elle est avec vous. Pourquoi vous soucier de choses posthumes ? »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.154-155

Ici, le taoïsme nous enseigne qu’il faut jouir de la vie. « Cueille le jour » nous disait Horace. Le taoïsme se rapproche ici de la philosophie épicurienne et s’éloigne du stoïcisme : que nous soyons vertueux ou non, nous allons mourir. Que nous soyons nobles ou non, nous allons tous mourir. Il vaut donc mieux chercher à « jouir de la vie tant qu’elle est avec [nous]. » Et ne pas se soucier de ce qui se passera après notre mort.

Marc Aurèle n’écrivait-il pas :

« Il ne faut pas seulement tenir compte de ce que la vie se dépense chaque jour et que la part restante décroît à mesure. (…) Il faut donc se hâter, (…) parce qu’on se rapproche de la mort à chaque instant. »

Pensées pour moi-même, Marc Aurèle, Les Belles Lettres, Livre III, 1.

« Quand je serai mort, je n’aurai plus d’intérêt pour rien. Il me sera indifférent que l’on me brûle ou que l’on jette mon corps dans une rivière, que l’on m’enterre ou que l’on me dépose juste sur le sol, qu’on m’entoure d’herbe et qu’on me retourne dans un plat, ou qu’on me mette dans un cercueil de pierre avec un manteau représentant un dragon et une robe brodée. Pour moi, tout me sera égal. »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.157

Notre sort après la mort semble indifférent pour la sagesse taoïste. Peu importe que nous soyons incinérés ou enterrés dans une tombe de diamants, cela ne nous servira plus à rien, quand nous serons morts.

« La vie est un don, et la mort l’emporte toujours trop tôt. Cette vie que nous menons est très précieuse, nous ne devons pas oublier que la mort viendra promptement. »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.159

Ici, le taoïsme se rapproche encore du bouddhisme tibétain sur cet aspect : la vie humaine est un don très précieux qu’il ne faut pas gâcher et dont il faut prendre soin. La vie est courte, nous devons donc en faire un très bon usage et en profiter ! Marc Aurèle ne disait-il pas : « Brève est la vie pour chacun ! » dans ses Pensées pour moi-même ? (Livre II, 6).

« Laisser la vie suivre son cours :

Meng Sun-Yang demanda à Yang Chu : « Si une personne devait guider sa vie et discipliner son corps, pourrait-elle espérer trouver la façon de vivre sans terme ? » Yang Chu répondit : « Une telle personne pourrait vivre plus longtemps, mais tout cet effort vaudrait-il la peine s’il s’agissait de n’ajouter que quelques années à sa vie ? Une personne est pleine de passions, de goûts et de dégoûts. Toujours cela fut, et toujours cela sera. Une personne se fait toujours du souci pour la santé de son corps, pour la joie et la tristesse des affaires mondaines, pour la fortune ou la pauvreté, pour les idéaux d’un bon gouvernement. Toujours cela fut, toujours cela sera. Il n’y a en réalité rien que nous n’ayons déjà entendu, vu, ou expérimenté. Les choses semblent changer, mais, en réalité, elles sont pareilles. Aussi, même si une personne pouvait vivre cent ans ou plus, rien ne pourrait la satisfaire complètement. Et si elle ne meurt pas de tristesse, c’est l’ennui qui l’emportera. Pourquoi nous donnerions-nous la peine de prolonger nos vies ? »

Meng dit alors : « Si je vous comprends bien, l’idéal est d’en finir avec la vie dès que la vieillesse approche ? » Yang Chu répondit : « Non, ce n’est pas cela du tout. Vous devez simplement vivre le plus pleinement possible, éprouvant toutes les satisfactions que la vie offre tant que vous le pouvez. Quand il est temps de mourir, mourez. Acceptez et chérissez le fait que la vie aura un terme. La vraie vie, c’est ne pas se mettre en peine pour prolonger sa vie, et ne pas non plus essayer de hâter sa mort. »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.162

Marc Aurèle n’écrivait-il pas :

« Dusses-tu vivre trois fois mille ans, et même autant de fois dix mille, souviens-toi toujours que personne ne perd d’autre existence que celle qu’il vit et qu’on ne vit que celle qu’on perd. Ainsi la plus longue et la plus courte reviennent au même. Le présent est égal pour tous et ce qu’on perd est donc égal aussi et ce qu’on perd apparaît de la sorte infinitésimal. On ne saurait perdre, en effet, le passé ni l’avenir, car ce que nous n’avons pas, comment pourrait-on nous le ravir ? Souviens-toi donc toujours de ces deux choses : d’abord que tout, de toute éternité, est d’aspect identique et repasse par les mêmes cycles, et ce qu’il n’importe qu’on assiste au même spectacle pendant cent ou deux cents ans ou toute l’éternité ; ensuite que l’homme le plus chargé d’années et celui qui mourra tôt font la même perte, car c’est du moment présent seul qu’on doit être privé, puisque c’est le seul qu’on possède, et qu’on ne peut perdre ce qu’on n’a pas. »

Pensées pour moi-même, Marc Aurèle, Les Belles Lettres, Livre II, 14.

Il écrivait aussi que de toute éternité, tout est toujours pareil et qu’il n’y a pas à s’en étonner. Le stoïcisme invite aussi à l’acceptation et à aimer la vie telle qu’elle est. C’est le sens de la formule Amor Fati expliquée par Pierre Hadot.

Pourquoi donc vouloir prolonger sa vie ? La vie est comme un conte, écrivait Sénèque. Ce qui compte n’est pas sa longueur, mais sa valeur.

« Les quatres sages, bien qu’ils soient encore, de nos jours, loués et révérés, vécurent dans d’interminables souffrances, et moururent pitoyablement, avec, comme seule récompense pour ce sacrifice, une réputation vaine et dépourvue de sens. Finalement, la mort fut leur dernière demeure. Mais les prétendus ignorants et insensés immoraux, bien qu’ils soient blâmés et condamnés jusqu’à ce jour, jouirent de leur vie au maximum, et la mort fut aussi leur dernière demeure. »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.166

Marc Aurèle se fait la même remarque : peu importe qui nous sommes, notre noblesse, nous finirons tous par périr et finir six pieds sous terre. Comme Alexandre le Grand et son muletier, ils sont où désormais ? Au même endroit. Mais ici, le taoïsme se distingue du stoïcisme par son amoralisme, plus proche de la doctrine d’Epicure. A quoi cela sert d’être un homme d’une grande vertu ou d’une grande sagesse ? Si on le devient, ce n’est pas pour la gloire ou pour l’opinion des autres, puisque dans tous les cas, si l’on a une bonne réputation après notre mort, à quoi bon ?

« Dans les trois mille années qui nous séparent de Fu-hsi et les milliers d’années qui le précédèrent, il y a eu des hommes sages et des ignorants, des choses belles et laides, des succès et des échecs, et du bien et du mal. Tout cela a disparu de la mémoire humaine : la constante, c’est que tout disparaît, lentement ou rapidement. »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.167

Ici le taoïsme nous rappelle l’impermanence qui est une loi naturelle sur laquelle les bouddhistes et les stoïciens nous invitent aussi à beaucoup méditer.

« L’effort de l’obtention de la réputation coûte une vie de refus des plaisirs de la vie. Comment cela pourrait-il irriguer nos os desséchés et nous rapporter la joie d’être vivants après notre mort ? »

Les Enseignements sexuels du Dragon de Jade, de Hsi Lai (Guy Trédaniel Editeur) p.167

Ici, le taoïsme critique les moralistes et ceux qui recherchent à tout prix la vertu en vue d’avoir une réputation de sage. A quoi bon puisque nous allons mourir, espérer avoir une bonne réputation de sage après notre mort ?

« Quand il quitta le monde, [l’Empereur Jaune] monta au Paradis Immortel Céleste à cheval sur un dragon, alors que les autres hommes furent tristement déposés dans la poussière de la terre. » (Manuel de la Tigresse Blanche)

Ce dernier paragraphe nous montre que la question de l’au-delà dans le taoïsme existe. Un homme qui a su maîtriser ses énergies et notamment son énergie sexuelle pour la sublimer et la transmuter, par une sorte d’alchimie, en force spirituelle, pourra atteindre l’immortalité, c’est-à-dire la vie éternelle dans l’au-delà.

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