[Sagesse persane] Les plus beaux poèmes d’Omar Khayyâm

« Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie. »

Remède à tous nos états d’âme, la lecture des Quatrains d’Omar Khayyâm est une joie dont on ne se lasse pas.

Le poète perse du XIe siècle appelle aux plaisirs simples, aux soirées amicales faites d’ivresse, de musique et de danse.

Une ode à la liberté toujours aussi lue, citée et adorée dans le monde entier.

Voici quelques poèmes traduits du persan par Charles Grolleau que j’ai sélectionnés :

«Ô toi qui te crois sage, ne blâme pas ceux qui s’enivrent ;

Laisse de côté l’orgueil et l’imposture.

Pour goûter le calme triomphant et la paix,

Incline-toi vers ceux qu’on humilie, vers les plus vils. »

« Tu n’as pas aujourd’hui de pouvoir sur demain ;

L’anxiété du lendemain est inutile.

Si ton coeur n’est pas insensé, ne te soucie même pas du présent ;

Sais-tu ce que vaudront les jours qu’il te reste à vivre ? »

« Dès le commencement fut écrit ce qui sera ;

Infatigablement la plume écrit, sans souci du bien ni du mal.

Le premier jour, elle a marqué tout ce qui sera …

Notre douleur et nos efforts sont vains. »

« Sois prudent : la fortune est incertaine ;

Prends garde : le glaive du destin est acéré.

Si le sort te met des amandes douces dans la bouche,

Ne les avale pas ; du poison s’y mélange. »

« Ma venue ne fut d’aucun profit pour la sphère céleste ;

Mon départ ne diminuera ni sa beauté ni sa grandeur ;

Mes deux oreilles n’ont jamais entendu dire par personne

Le pourquoi de cette venue et celui de ce départ. »

« Ce que la plume a écrit ne change jamais :

S’en désoler ne procure qu’une tristesse profonde ;

Même en subissant l’angoisse toute une vie,

Tu n’ajoutes pas à celle-ci une goutte de plus. »

« Ceux dont les croyances sont basées sur l’hypocrisie

Veulent faire une distinction entre l’âme et le corps.

Moi, je sais que le vin seul a le mot de l’énigme

Et qu’il donne conscience d’une parfaite unité. »

« Je ne suis pas homme à craindre le non-être,

Cette moitié du destin me plaît mieux que l’autre moitié ;

C’est une vie qui me fut prêtée par Dieu ;

Je la rendrai quand il faudra la rendre. »

« Bien que le vin ait déchiré mon voile,

Tant que vivra mon âme, je ne le délaisserai pas …

Mais, vraiment, ceux qui vendent le vin m’étonnent :

Que peuvent-ils acheter de meilleur que ce qu’ils vendent ? »

« Je vis un homme, seul, sur la terrasse de sa maison,

Qui foulait sous ses pieds, avec mépris, de l’argile ;

Et cette argile, dans son mystique langage, lui dit :

« Calme-toi, un jour on te foulera comme tu me foules. »

« La journée est belle, la brise est tiède et pure ;

La pluie a lavé la poussière qui ternissait la joue des roses.

Le rossignol dit à la rose, en langue antique et sacrée :

« Toute ta vie, enivre-toi de chants suaves et de parfums ! »

« L’amour qui n’est pas sincère est sans valeur ;

Comme un feu presque éteint, il ne réchauffe pas.

Le véritable amant, pendant des années, des mois, des nuits, des jours,

Ne goûte ni repos, ni paix, ni nourriture, ni sommeil. »

« Limite tes désirs des choses de ce monde et vis content.

Détache-toi des entraves du bien et du mal d’ici-bas,

Prends la coupe et joue avec les boucles de l’aimée, car, bien vite,

Tout passe … et combien de jours nous reste-t-il ? »

« Tous les matins la rosée emperle les tulipes,

Les violettes inclinent leurs têtes, dans le jardin ;

En vérité, rien ne me ravit comme le bouton de rose,

Qui semble ramasser, autour de lui, sa tunique soyeuse. »

« Si tu désires aller vers Lui, quitte femme et enfants,

Courageusement sépare-toi de tes proches et de tes amis ;

N’importe qui, sur ta route, te retarde ;

Comment voyager avec de tels obstacles ? … Ecarte-les ! »

« Pour parler clairement et sans paraboles,

Nous sommes les pièces du jeu que joue le Ciel ;

On s’amuse avec nous sur l’échiquier de l’être,

Et puis nous retournons, un à un, dans la boîte du néant. »

« Ô coeur, puisqu’en ce monde, le vrai même est une hyperbole,

Pourquoi t’inquiéter à ce point de ce trouble et de cet abaissement ?

Livre ton corps au destin, et ton âme à la merci des heures ;

Ce que la plume a écrit ne sera pas raturé pour toi. »

« Si tu veux m’écouter, je te donne ce conseil :

Pour l’amour de Dieu, ne te revêts pas de la robe d’hypocrisie.

La vie future, c’est le toujours, ce monde n’est qu’un instant ;

Ne vends pas le royaume de l’éternité pour une seconde. »

« Sois heureux, Khayyâm, si tu es ivre,

Si tu reposes près d’une aimée aux joues de tulipe, sois heureux :

Puisque à la fin de tout tu seras le néant,

Rêve que tu n’es plus, déjà … sois heureux. »

« Cette voûte céleste devant laquelle nous restons interdits,

Nous savons qu’elle n’est qu’une sorte de lanterne magique ;

Le soleil est la lampe et l’univers la lanterne,

Et nous les images qui tournent. »

« Je ne suis pas toujours maître de moi-même … que puis-je y faire ?

Et je souffre pour mes actions … que puis-je y faire ?

Vraiment, je crois à ton pardon généreux,

Tant j’ai honte de penser que tu as vu mes actes … mais que puis-je y faire ? »

« Puisque notre séjour en ce couvent n’est pas durable

Sans l’échanson et sans l’amour, quelle amertume que la vie !

Ô philosophe, combien durent les croyances anciennes et nouvelles ?

Puisque je dois partir, que m’importe si le monde est ancien ou nouveau ? »

« Quand je sera terrassé sous les pieds du destin,

Et que l’espoir de vivre sera déraciné de mon coeur,

Veille à faire une coupe avec ma poussière :

Ainsi, rempli de vin, je revivrai peut-être. »

« Nous avons préféré au monde un petit coin et deux pains,

Et nous nous sommes sevrés du désir de sa fortune et de sa magnificence.

Nous avons acheté la pauvreté avec notre coeur et notre âme ;

Nous avons, dans la pauvreté, découvert de grandes richesses. »

« Jeunes, nous avons quelque temps fréquenté un maître,

Quelque temps nous fûmes heureux de nos progrès ;

Vois le fond de tout cela : que nous arriva-t-il ?

Nous étions venus comme de l’eau, nous sommes partis comme le vent. »

« Pour celui qui comprend les mystères du monde,

La joie et la tristesse sont identiques ;

Puisque le bien et le mal doivent tous deux finir,

Qu’importe que tout soit peine, à ton choix, ou que tout soit remède. »

« Imite, autant qu’il dépend de toi, les libertins ;

Sape les fondements de la prière et du jeûne.

Ecoute la parole de vérité d’Omar Khayyâm :

« Enivre-toi, vole sur les grands chemins, et sois bon. »

« Puisque toute mission de la race humaine en ce désert,

Ce n’est que de souffrir et puis de rendre l’âme,

Le coeur allégé c’est celui qui s’en va bien vite de ce monde,

Et celui-là connaît le repos qui n’y est jamais venu. »

« Regarde les méfaits de cette voûte céleste,

Et vois ce monde vide … puisque les amis sont partis.

Autant que tu le peux, vis un moment pour toi-même :

Ne goûte qu’au présent … le passé a l’odeur des morts. »

« Boire du vin et étreindre la beauté

Vaut mieux que l’hypocrisie du dévot ;

Si l’amoureux et si l’ivrogne sont voués à l’Enfer,

Personne, alors, ne verra la face du Ciel. »

« Cette voûte céleste, pour ma perte et la tienne,

Vise nos âmes pures, la mienne et la tienne.

Assieds-toi sur le gazon, mon idole ; avant peu

Ce même gazon croîtra de ma poussière et de la tienne. »

« A quoi bon la venue, à quoi bon le départ ?

Où donc est la chaîne de la trame de notre vie ?

Que de corps délicats le monde brise …

Où donc est partie leur fumée ? »

« Vois, la brise a déchiré la robe de la rose,

De la rose dont le rossignol était enamouré ;

Faut-il pleurer sur elle, faut-il pleurer sur nous ?

La mort viendra nous effeuiller et d’autres roses refleuriront. »

« Ô Ciel, dans tes largesses, tous les misérables ont leur part !

Tu leur accordes la subsistance nécessaire au supplice de vivre ;

Mais, je te le demande, ô Ciel, si tu étais un homme,

Donnerais-tu même une figue pour une félicité pareille ? »

« Ô coeur, jamais tu ne sonderas le mystère,

Jamais tu n’éclairciras les subtilités des philosophes,

Fais-toi un ciel du vin et de la coupe,

Car, au Ciel véritable sais-tu si tu ne pénétreras jamais ? »

« Tu ne te nourris que de la fumée de la cuisine du monde.

Combien de temps gémiras-tu à propos de l’être et du non-être ?

Le capital que tu convoites s’use à réparer maintes brèches,

Mais tu perds ton temps à supputer un trésor qui ne t’appartient pas. »

« Ô âme, si tu peux te nettoyer de la poussière de ton corps,

Esprit nu, tu planeras dans le ciel.

L’empyrée sera ton séjour, mais que ce soit ta honte

Si tu y viens étant encore un habitant de la terre. »

« Hier soir, j’ai brisé ma coupe contre une pierre …

La tête me tourna d’avoir pu faire une telle chose,

Et la coupe m’a dit dans sa langue mystique :

« J’ai été comme toi, tu seras comme moi un jour. »

« Prends la coupe et le flacon, ô désir de mon coeur !

Joyeux, promène-toi dans le jardin et sur le bord des fleuves.

Combien d’êtres charmants, le Ciel moqueur

A-t-il cent fois changés en coupes et cent fois en flacons … »

« Sur la route où je vais, en mille endroits, tu mets des pièges ;

Tu dis « Je te prendrai si tu y mets le pied. »

Pas un atome du monde n’échappe à ton pouvoir,

Tu ordonnes toutes choses, et tu m’appelles révolté ! »

« Ce que je veux, c’est une goutte de vin couleur de rubis et un livre de vers,

Et la moitié d’un pain, assez pour soutenir ma vie.

Et si je suis alors assis près de toi, même en quelque lieu désert et désolé,

Je serai plus heureux que dans le royaume d’un sultan. »

« Ne te dépense pas tant en tristesse insensée, mais sois en fête.

Donne, dans le chemin de l’injustice, l’exemple de la justice,

Puisque la fin de ce monde est le néant,

Suppose que tu n’existes pas, et sois libre. »

« Regarde, ainsi que je le fais, de tous côtés :

Dans le jardin, coule un bras de Kausar*,

Le désert devient semblable au Ciel, tu peux dire que l’Enfer n’est plus.

Assieds-toi donc au Ciel avec une amie au visage céleste. »

« Sois heureux, car on a fixé hier ta récompense,

Et l’hier est bien loin, au-delà de ta portée.

Sois heureux, sans que tous tes efforts aboutissent,

Hier, avec certitude, on a marqué ce que tu feras demain. »

« Si j’avais été libre de venir, je ne serais pas venu.

Si je pouvais contrôler mes pas, où donc irais-je ?

Ne vaudrait-il pas mieux qu’en ce monde de poussière

Je n’aie pas eu à venir, à en partir … y vivre ! »

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