« Souveraineté du vide », Les plus belles phrases poétiques de C.Bobin

« C’est là la lecture. On lui pourrait donner pour symbole l’idée d’une flamme qui se propage, celle d’un fil qui brûle de bout en bout, avec de petites explosions et des scintillations de temps à autre. »

Paul Valéry, Les deux vertus d’un livre

«Je ne crois pas vous avoir dit que j’ai un travail, que je suis, comme tout un chacun, soumis à ce mensonge obligé d’un travail, à cette considérable perte de temps, de vie. Je crois que le mieux est de n’en pas parler. Ecrire, seulement. »

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.30

« Les mots fleurissent et poussent dans tous les sens, de toutes espèces. Ils se multiplient et se ramifient comme un feuillage, comme une excroissance incontrôlée, incontrôlable, de feuilles, de fruits. »

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.33

Le bruit que font les livres ouverts sur cette table : ils marmonnent. Ils disent quelque chose, à voix basse, monocorde. Inlassablement. Ces textes, des poèmes, affectent la vue de la même façon, exactement, que l’audition, lointaine, irréelle, de chants grégoriens, dans la fraîcheur d’une église visitée, affecte l’ouïe. Au travers de ces deux sens, la lecture comme ces chants inventent quelque chose de notre âme. Il y a beaucoup d’affinités, de connivences, entre la lecture et laprière : dans les deux cas, marmonnement. Dans les deux cas, silencieux commerce avec l’Autre. Dans les deux cas, semblable indéfinie et douce promenade en de clairs vergers ; ceux-là même évoqués au douxième siècle par Guerric d’Igny : Vous vous promenez à travers autant de jardins que vous lisez de livres. Et puis, surtout, cette ferveur, commune aux deux actes obscurs de lire et de prier. J’aime ce mot. C’est un mot de passe, il préside à l’alliage du corps et de l’âme, à leur broderie entrelacée sur l’étoffe d’une seule langue immatérielle, excessivement douce et brûlante, dont les échos parfois se retrouvent dans le parler des oiseaux et dans l’aurore foudroyée des amants.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.36

Le pur silence : l’élément naturel de l’âme, autant que l’eau pour le nageur d’au-delà de l’horizon.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.37

La vie comme elle va, oisive, éternelle. Des heures d’oisiveté pour une seconde d’or pur, d’écriture. La durée se précipite dans l’éclair de l’encre. Accepter cette perte de temps, sans jamais prétendre la modifier, la remplir.

L’inachevé, l’incomplétude seraient essentiels à toute perfection.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.36

Dieu, c’est le nom de quelqu’un qui a des milliers de noms. Il s’appelle silence, aurore, personne, lilas, et des tas d’autres noms, mais ce n’est pas possible de les dire tous, une vie entière n’y suffirait pas et c’est pour aller plus vite qu’on a inventé un nom comme celui-là, Dieu, un nom pour dire tous les noms, un nom pour dire quelqu’un qui est partout, sauf dans les églises, les mairies, les écoles et tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une maison. Car Dieu est dehors, tout le temps, par n’importe quel temps, même l’hiver, et il s’endort dans la neige et la neige pour lui se fait douce, elle ne lui donne que sa blancheur avec quelques étoiles piquées dessus, elle garde pour elle la brûlure du froid. Dieu n’a pas de maison, il n’en a pas besoin et d’ailleurs lorsqu’il voit une maison, il ouvre les portes, déchire les murs, brûle les fenêtres et c’est tout qui entre avec lui, le jour, la nuit, le rouge, le noir, tout et dans n’importe quel ordre, et alors, et alors seulement, les maisons deviennent supportables, alors seulement on peut les habiter, puisqu’il y a tout dedans, le soleil, la lune, la vie très folle, la douceur très grande de la folie, les yeux pervenche de la folie. Et Dieu repart ailleurs, toujours ailleurs : à force de traîner les chemins, de s’endormir partout, dans les sources, dans les fougères, dans le nid des mésanges ou dans les yeux des tout-petits, Dieu a une drôle d’allure, vraiment. Lorsqu’il n’ouvre pas toutes grandes les portes, Dieu ne fait rien. Ce serait là son métier : ne rien faire. C’est un métier très difficile, il y a très peu de gens qui sauraient bien le faire, qui sauraient ne rien faire. Dieu, lui, fait cela très bien. De temps en temps, pour se reposer, il s’arrête de ne rien faire : alors il fait des bouquets ; il cueille toutes les lumières du monde, même celles des orages et des encriers, il en fait des bouquets mais il ne sait à qui les offrir. Ou bien il met un coquillage tout contre son oreille et il écoute des musiques, toutes les musiques du monde, longtemps il écoute et c’est comme un flocon dedans son coeur, un tourment d’écume, le premier âge de la mer, l’immensité de la mer dedans son coeur et Dieu se met à rire et Dieu se met à pleurer, parce que rire ou pleurer, pour Dieu c’est pareil, parce que Dieu est un peu fou, un peu bizarre. Et si on lui demande ce qu’il a, il dit qu’il ne sait pas, qu’il ne sait rien, qu’il a tout oublié le long des chemins et qu’il a perdu la tête, perdu son ombre, qu’il ne sait plus son nom. Et puis il rit, et puis il pleure, et il s’en va, et il s’en vient, et c’est le jour, puis c’est la nuit, et puis voilà, c’est toujours comme ça, toujours, chaque jour.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.40-41

J’écoute des musiques. Beaucoup de musiques. Mozart, Schubert. Le chat-Mozart : il se déplace sans heurts, par glissements, par frôlements, sans froisser les feuillages de l’air, sans renverser le moindre silence. Il tourne doucement autour d’un oiseau-lumière, sans jamais le quitter des yeux, sans jamais conclure le jeu par une prise, par un rapt.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.42

C’est à présent une saison nouvelle. Une autre économie du vent, de l’air, des bruits colportés du plus lointain. Des chants d’oiseaux invisibles. Des cris d’enfants, parfois, au bas des maisons, dans les forêts, vous savez, comme ceux que l’on entend sur les plages en été : il n’est que les enfants pour ainsi confondre, avec tant de justesse, leurs jeux de voix, de rires, avec la rumeur des éléments, avec le souffle sourd des vagues. Sans doute avez-vos déjà remarqué cela, et que les voix des adultes, elles, ne rejoignent rien, n’épousent rien. Elles font écran, coupent, empêchent, gênent.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.45

S’occuper. Parler et croire que l’on parle. Faire des choses et croire que l’on fait quelque chose. Je préfère pour ma part ne rien faire.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.46

J’ignore à vrai dire tout ce que j’écris, de ce que je rêve, pourquoi j’en rêve, pourquoi je l’écris, comment. Je ne sais rien de ce que je fais. Je le fais, c’est tout. Je rêve que je le fais. Je cherche quelque chose. Je ne sais quels chemins sont les plus favorables. Je les emprunte tous, tour à tour ou simultanément.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.49

Quelle que soit la forme de la rencontre, quel que soit le visage de l’ange – pierre, chair, encre, fougère – il s’agit toujours de la même bonne nouvelle, celle de notre délivrance, celle de la délivrance en nous des forces captives, des sources obscures.

Christian Bobin, La souveraineté du vide, p.51

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